Fanny Maugey - Plastissière
Salle 3
Salle 1
A travers ciel, les petites mythologies (2006-2020)
Photographies, impression dos bleu (60 x 90 cm, 60 x 40 cm) Tirage contre-collé sur alu Dibon (60 x 90 cm, 60 x 45 cm)
Désalaison
Photographie, impression dos bleu (300 x 220 cm)
Comme une longue récolte depuis 2006, cette sélection d’image est issue de voyage, de bivouac en forêt, de marche, d’excursion dans une carrière, de natures mortes organiques, végétales.
Les endormies (2020)
Série de 14 photographies (dont 5 présentées) tirage contre-collé sur alu Dibon (48 x 32 cm)
Fleurs comestibles gelées issues du jardin officinal de l’Hôpital psychiatrique de Montpon-Ménestérol (Résidence en Dordogne, été 2020)
Macération (2019)
Carafes en verres, entonnoir, bouchons cristal, tube verre en U
Liqueur dorée (zestes clémentine, citron bergamote, orange), liqueur rubis (betterave), liqueur de l’attente (orange, café), vin de sureau, élixir de la Reine de Hongrie (romarin, lavande, cannelle, vanille, menthe, citron)
Infusion : Fleurs bruyère, camomille romaine et matricaire, coquelicot, lavande, mauve, soucis, sureau , violette, feuille de cassis.
Salle 2
Outils (2020)
Grès, pâte de granit, bois, pâte auto-durcissante. Dimensions variables
Série d’ustensiles qui interrogent le geste, l’utilité d’un objet, sa fonction. Inspirés des fouilles archéolo- giques et de tous les spécimens que l’on peut avoir dans nos tiroirs de cuisine.
Mondes (2020)
Miel de Forêt, de Fleurs provenant de Dordogne, de Bourgogne Franche-Comté, Rhône-Alpes. Flacons en verre, 5kg.
Chaque territoire a sa propre tonalité, spécificité, géographie, saveur... Qu’est-ce qui différencie une fo- rêt d’une autre ? Chaque miel contient en lui un monde, le travail si subtil des abeilles qui se déplacent dans des périmètres définis (4km max.), dans leurs propres frontières.
De gauche à droite : Miel de Fleurs, Les Jartrissoux, 24410 Echourgniac — Miel de Forêt, 2019, Fabien Lassagne, 24190 Donzillac — Miel de fleurs, Les Jartrissoux, 24410 Echourgniac — Miel de Forêt, 2020, Franck Esteves 71360 Collonges — Miel Acacia 2020 Franck Esteves 71360 Collonges
Champs, Mind - map (2020)
Papier fait main, encadré verre contre verre, 32 x 40 cm
Salle 3
Gestes et mesures (2020)
Tabliers, blouses. Dimensions variables
Les tabliers par leurs formes, motifs, couleurs portent en eux un savoir-faire, une fonction précise, une gestuelle, des déplacements. Ils sont le symbole d’un espace domestique, majoritairement féminin, liés à l’artisanat, au soin, au service, à la protection, au costume de coulisse.
Flore (2020)
Tubes de verre 140 cm, embout caoutchouc, végétaux toxiques : thuya, houx, fusain, lierre, gui, sapin, cotonéaster, lierre d’Irlande.
Comment conserver dans le temps des espèces sensibles, quelle est la lisière entre le poison et la plante médicinale ?
Verrière
Photographie, tirage contre-collé sur alu Dibon (60 x 40 cm)
Embellie (2020)
Confident en peuplier, 140 x 70 cm, 2 casques, son en boucle 15 mn
L’embellie annonce une amélioration passagère du temps. Une vingtaine de voix (patients, per- sonnel de l’hôpital, amis, famille) racontent leur vision du temps dans des descriptions concrètes, poétiques ou philosophiques.
Petit soleil (2020)
Moule en alu 38 cm ø, miroir, lampe
Rotation II (2014)
Vidéo en boucle, 16 mn
Rotation II présente des fleurs de cerisiers (Sakura en japonais) et s’appuie sur la tradition japo- naise Hanami, littéralement regarder les fleurs. De la même manière qu’une danse Buto, nous sommes plongés au cœur de l’arbre, déambulant très lentement entre les branchages.
Fanny Maugey se définit comme « plastissière ». Dans ce mixte sémantique se loge l’amalgame qui fonde sa pratique : elle opère sur ce point d’incorporation qui nous fait vaciller, dans la confusion entre le geste et la texture, entre la forme et le fond.
De sa formation initiale en pâtisserie, l’artiste a retenu une mécanique des gestes rigoureusement appris, que le contexte d’une école des beaux-arts l’a ensuite incitée à rendre contingente. A l’écouter, elle semble également avoir acquis de son parcours une forme de boulimie (la diversité de sa production en témoigne) et un pragmatisme qui ont décomplexé sa production. Après moult expérimentations, « quelque chose a lâché, j’ai cessé de faire la différence entre pratique professionnelle et vie personnelle, beaux-arts et cuisine. J’assume pleinement les circulations et les humeurs changeantes, elles me nourrissent ».
Point de dilettantisme donc, mais bien plus une forme appliquée de l’intention qui se serait muée en état de vive attention chez celle qui semble toujours être à l’affût de ce moment artistico-culinaire où, dit-elle, « quelque chose prend ». Elle aime employer le terme italien la Mantecatura pour qualifier son travail. Rappelant ce moment crucial de la bonne tenue d’un risotto, l’expression traduit plus généralement cette « prise » chère à l’artiste : « lorsqu'on mélange des corps gras ensemble, cet instant où la sauce se lie, où la magie et le coup de main opère ». Chacune des techniques minutieusement acquises devient-elle ainsi moins une solution qu’une question ouverte à la réaction d’une assemblée humaine et non-humaine.
Ce désir de liaison nourrit également chez elle, depuis ces dernières années, un fort intérêt pour la commensalité à travers lesquels corps sociaux et biologiques s’amalgament sans pour autant se dissoudre. Cette voie s’est plus particulièrement affirmée par la réalisation de diverses installations consommables et sculpturales : dans l’espace public avec le collectif Komplex Kapharnaüm (Migrations - Corps Collectif cherche membres), au Mo.Co dans une œuvre participative nous conviant à partager une tuyauterie digestive en chocolat (ZIGZAG) ou encore lors de la performance culinaire qu’elle proposa au 19 (C party!). Autant de situations qui oscillent entre l’expérience de l’outil et du matériau, pour voir ce qui peut « faire » corps, en échappant à l’autorité des usages ou des corporations formalisés. Cette ambivalence se retrouve aussi dans ses séries de sculptures d’ustensiles sans fonctionnalité.
De la manœuvre à la fois lente et fugace de Fanny Maugey, il faut ainsi retenir cette capacité à attendre ou à « tendre vers », à rendre les intentions disponibles aux migrations, et réciproquement, capables d’influer leurs trajectoires. L’artefact, qu’il soit pâtissier ou artistique, se nimbe alors d’ambiguïté en se faisant le point de passage entre les desseins qui l’auraient investi et les ressources qu’il met en partage. Car c’est ce rapport nourricier qui fait croitre le travail de mixture de la « plastissière » : une fondamentale recherche de moyens plutôt qu’un désir de finalité.
La fabrique de Fanny Maugey trouve ainsi moins de sources dans des récits que dans un bricolage inventif à même l’existant. Au 19, ce fut déjà manifeste lors de cette performance culinaire pour laquelle l’artiste cuisina, avec les denrées locales, un ensemble de mets présentés sur du mobilier improvisé avec des matériaux trouvés et restés sur place. Toutes les pièces présentées un an plus tard pour son exposition personnelle relèvent, en grande partie, d’expériences de résidences. Tels des notes parsemant l’exposition, un ensemble d’images, prélèvements, carottages, combustions, infusions, décoctions ou empreintes, se font encore relais de cette disponibilité aux circonstances ou à la réaction qui « prend ». En contrebas du centre d’art, un patchwork de tabliers récupérés et plus loin, un traveling sur des cerisiers en fleurs, nous plongent dans un même enchevêtrement confus de surface.
A l’image des Mind Maps qu’elle a griffonnées durant la période de confinement, ce travail évolue effectivement par « patchs » au sens que leur donne Anna Lowenhaupt Tsing, ou par agencements formés et agissants sous l’action des perturbations. Cette patiente et furtive recherche d’attaches matérielles dans un monde perturbé est devenue, pour nombre d’artistes, bien davantage qu’un sujet qui se ferait l’allégorie de la crise environnementale ou d’une condition précaire. Elle relève de la seule efficience d’être contemporain, c’est à dire d’être « avec », comme essentielle voie d’action.
« Produire » ne rimant pas forcément avec « se reproduire », Fanny Maugey s’interroge alors sur la nécessité de « laisser des témoins, de produire encore et encore des objets ». Elle se mêle ainsi à une génération qui souhaite, par cette disponibilité, échapper à la productivité d’une sacro-sainte inspiration, légitimée par de non moins vénérables corporations. Elle cultive cette approche technico-processuelle de l’incorporation pour redonner à la création le caractère d’une vitale appétence à (se) laisser engendrer sans fin.
Florence Meyssonnier, août 2020